Présentation

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Stimulées par l'important colloque organisé en 1964 à l'occasion du centenaire de la création de l'Association internationale des travailleurs (AIT) et par la vogue de l'histoire politique « radicale », les recherches consacrées à l'AIT sont alors véritablement entrées dans une phase scientifique. La Première Internationale, de 1864 à 1876 au moins (mais la fin de l'AIT est l'enjeu de nombreux débats), était composée d'organisations ouvrières diverses et de membres adhérant sur une base individuelle ; elle fut tout à la fois un forum de réflexion et d'échanges, une organisation syndicale et une société politique internationale. L'histoire de l'AIT s'est considérablement développée dans les années 1960-1970. De nombreux documents sont alors publiés, comme ceux du Conseil général et des congrès, ainsi que des sources sur tel ou tel pays. L'historiographie examine le fonctionnement de l'institution, son implantation dans divers espaces, son rayonnement et les débats théoriques qui l'accompagnent. Qu'il s'agisse d'études locales, nationales ou thématiques (syndicats, grève, anarchisme, question agraire, etc.), ces recherches ont grandement affiné notre connaissance de l'organisation et de son action. Depuis une vingtaine d'années, cependant, les travaux se sont faits plus rares, même si diverses synthèses et quelques recherches monographiques continuent d'être publiées.

À l'occasion du 150e anniversaire de la fondation de l'AIT, ce colloque veut contribuer à ouvrir une nouvelle phase dans l'étude de cette organisation en prenant pleinement en compte les évolutions récentes de l'historiographie, les nouvelles approches, les nouveaux questionnements comme les nouvelles sources accessibles.

  • On pense d'abord à l'émergence de l'histoire globale et transnationale du travail, autour des travaux menés par l'Institut international d'histoire sociale d'Amsterdam et à travers le monde. Cette approche, en se fondant sur l'étude des circulations, des structures et des espaces internationaux, et en étudiant ses objets dans leurs espaces réellement pertinents est particulièrement adaptée pour l'étude d'une association fondée à l'issue de contacts entre militants ouvriers de différents pays et qui s'inscrivait d'emblée dans une perspective internationaliste. Des travaux récents ont par exemple mis en évidence la place des migrations et des exils de militants français dans le développement de l'AIT aux Etats-Unis. Mais les autres migrations devront aussi être réinterrogées : migrations économiques à l'intérieur d'un même Etat, migrations transnationales de travailleurs qualifiés, migrations militantes, migrations de réfugiés politiques. Comment se juxtaposent-elles, s'articulent-elles entre elles ? Comment ces circulations ont-elles participé à l'essor de l'AIT et au développement de ses sections ? Dans quelle mesure une association conçue par les ouvriers de métier de pays dominants est-elle parvenue à impliquer les travailleurs industriels ou agricoles d'espaces moins industrialisés ou colonisés ? Enfin, comment, en dépit de la diversité des acteurs impliqués, l'émergence de discours et de formes de mobilisation à une vaste échelle, au moins transcontinentale, a-t-elle été possible ? Se pose dès lors la question de savoir dans quelle mesure l'AIT a participé à la genèse d'une politique internationale du travail. Ce faisant, il sera particulièrement intéressant de revenir sur les périodisations et leurs éventuels décalages selon les espaces concernés (Europe, Amérique du Nord, Amérique centrale par exemple). Si les études nationales gardent tout leur intérêt, on aimerait donc réfléchir avant tout au rôle et aux significations des échanges, des transferts, des appropriations, d'un espace à un autre.
  • L'autre volet concerne la documentation, les traces matérielles et leurs significations. Les procès-verbaux et autres documents du conseil central et des congrès de l'AIT ont été publiés et largement utilisés. La presse l'a moins été, y compris la presse ouvrière, alors qu'elle constitue alors un élément essentiel des cultures politiques. La numérisation de nombreux périodiques de l'époque permet peut-être de renouveler ces recherches. Il faudrait faire un point sur les apports comme sur les biais (sélection des archives) de cette documentation. Que nous apportent-ils sur les communications, sur les circulations d'informations et d'idées, mais aussi sur la place occupée par l'AIT dans le débat public des différents espaces concernés ? Il semble en effet que la connaissance des activités et du langage de l'AIT soit, dans certains espaces éloignés, mieux et plus vite diffusée par la presse, y compris adverse, que par les délégués de l'association. On voudrait aussi mieux connaître l'iconographie de l'AIT, en particulier les dessins et gravures. Au-delà, il serait intéressant de se pencher sur sa culture matérielle (bannières, drapeaux, cartes de membres, faïences, broderie etc.). Existait-il une « culture » internationaliste ? N'était-elle d'ailleurs pas également faite d'une circulation de pratiques et de savoir-faire plus empiriques en matière de lutte sociale, de pratiques organisationnelles ou de procédures de travail ?
  • La sociologie des militants, les différents milieux impliqués et les débats qui ont traversé l'AIT par rapport aux syndicats, au machinisme, aux grèves, aux luttes nationales (Irlande, Pologne), à la question agraire, méritent d'être encore interrogés et approfondis. Mais d'autres questions se posent aussi. On connaît mal, par exemple, le rôle des non-ouvriers : médecins, intellectuels, avocats...De même, quelle était la place exacte des femmes dans l'AIT, parmi les militants ou dans leurs discours ? Quels furent, autre question, les débats au sein des sections de l'AIT ? Il faudra se demander comment les luttes entre tendances et les scissions au sommet de l'organisation sont perçues, traduites et modifiées par les militants de base avant de remonter. Echanges et concurrences caractérisent aussi les relations entre les sections et les autres formes d'organisation ouvrières, qui pourraient elles aussi être mieux documentées. À l'inverse, y eut-il des discussions, aux différents niveaux et dans les différentes régions, par rapport à la constitution des empires coloniaux et par rapport aux formes impériales de domination économique ou sociale ? Dans quelle mesure l'implication des Internationalistes dans des migrations de travail transimpériales a-t-elle encouragé ces débats ? Plus largement, comment ces militants se situaient-ils par rapport à des questions comme la participation politique, le droit de vote ou l'emploi des femmes, et pourquoi ont-ils souvent relégué ces questions au second plan, par rapport aux premiers courants socialistes de l'avant 1848 ? Et comment la définition du « travail » se recompose-t-elle à travers ces échanges ? Surtout, pour comprendre la place rapidement prise par l'AIT dans le débat public, il pourrait être intéressant d'étudier son ombre portée, réelle ou fantasmée, dans la structuration des espaces politiques locaux, nationaux mais aussi transnationaux.

Ce colloque ne cherche pas à juxtaposer des études locales ou des parcours individuels. Il s'intéressera en revanche aux variations d'échelle entre le local et l'international ainsi qu'aux articulations entre micro-histoire et l'histoire de l'AIT.

   

Quand ? Où ?

Dates

Les jeudi 19 et vendredi 20 juin 2014.

Programme

Lieu

Maison de la recherche de l'Université Paris IV, 28 rue Serpente, 75006 Paris

Qui ?

Comité scientifique

Sylvie Aprile (Lille 3-Charles de Gaulle) ; Gregory Claeys (Royal Holloway, University of London) ; Michel Cordillot (Paris 8-Vincennes-Saint-Denis) ; Ludovic Frobert (ENS Lyon) ; Marcel van der Linden (IIHS, Amsterdam) ; Detlev Mares (Darmstadt) ; Jacques Rougerie (Paris 1-Panthéon Sorbonne) ; Marc Vuilleumier (Genève)

Comité d'organisation

Fabrice Bensimon (Paris IV Sorbonne, fbensimon@free.fr) ; Quentin Deluermoz (Paris 13 Villetaneuse, quentin.deluermoz@gmail.com) ; Jeanne Moisand (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, jeanne.moisand@univ-paris1.fr)

Organisateurs

Société d'histoire de la révolution de 1848 ; Centre d'histoire du XIXe siècle (Paris 1- Paris 4)

Partenaires

International Institute of Social History (Amsterdam) ; International Association Strikes and Social Conflicts; ANR Utopies19 (Dijon); Society for the Study of Labour History (Grande-Bretagne)

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